Tout quitter pour vivre une nouvelle vie : cette tentation est forte et source de fantasmes. La chanson française affectionne ces transhumances, qu’elles visent à découvrir de grands espaces ou à fuir une situation difficile, comme l’illustre « Ce lundi-là » de Michel Delpech. Le douzième match oppose Julien Clerc à Nicolas Peyrac. La même année, le premier promet de « Partir », tandis que le second l’annonce : « Je pars ».
Chanteur romantique qui ne dit jamais « Je t’aime », Julien Clerc est une figure à part dans la variété. Charmeur à la manière d’Hidalgo et compositeur hors pair, il se distingue par des titres d’accès parfois complexe (les paroles d’Étienne Roda-Gil sont souvent obscures), mais aux mélodies étourdissantes. En 1977, il compose, sur un texte de Jean-Loup Dabadie, une chanson d’échappée. Après un début lent, réduit à un simple piano-voix, Julien Clerc s’évade. « Partir, partir. On a toujours un bateau dans le cœur, un avion qui s’envole pour ailleurs. Mais on n’est pas à l’heure. » Les cordes s’emballent, les cuivres suivent, les chœurs s’envolent. « Partir, partir, même loin, loin de la région du cœur. N’importe où la peau change de couleur. Partir avant qu’on ne meure. » Une véritable délivrance, presque une question de survie : « Mais c’est vrai, le temps nous prend trop de temps, et on n’appareille pour aucun soleil. Et pendant ce temps, on est vivant. » Bijou pop par excellence, la chanson s’impose rapidement comme un immense succès. Et Clerc envoie un message à peine voilé à Roda-Gil : le grand départ, ou le divorce, est imminent.
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Peyrac sensible et drôle
Nicolas Peyrac, quant à lui, rêve d’une évasion plus lointaine. Le ras-le-bol se fait sentir. « Je pars. Je tire un trait, je ferme la valise : destination Zagreb via Venise. Je souffle la bougie, je me dessine une folie. » Le chanteur écrit des paroles justes (« Qui peut me dire comment l’exil vient aux errants ? ») sur une mélodie flottante et changeante, mais entêtante. Peyrac se laisse tenter par un voyage sans retour, quitte à laisser ses proches derrière lui. « Je t’aimais bien, je garde ta tendresse qui me tiendra chaud le temps qu’il me reste. J’ai la gueule trop pâle qui rêve de lune et d’étoiles. Cette fois-ci je mets les voiles, je dis “bon vent” et peut-être à demain. » Délicieuse, la chanson devient un standard de cet artiste sensible et tendrement ironique (« Et mon père »).
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Sur la ligne de départ, quel titre l’emporte ? L’évocation symbolique ou le récit concret ? La voix pleine d’entrain de Clerc ou le ton presque résigné de Peyrac ? La mélodie de « Partir », l’une des plus belles de Julien Clerc, ainsi que les interprétations en concert – une véritable libération – font la différence. Mais attention, vingt ans plus tard, Michel Sardou nous prévenait dans « S’enfuir et après » : « Aussi loin qu’on va, on part avec soi. On ne s’oublie jamais. »