Pierre Ferrari a transformé La Taillade, l’ancienne bastide de son père Nino Ferrer, en un domaine viticole tourné vers l’avenir.
Ce 15 août 2025, Nino Ferrer aurait soufflé ses 91 bougies. La date réveille immanquablement des souvenirs, car l’interprète du Sud s’est donné la mort en 1998, à deux jours seulement de son anniversaire. L’histoire de cette disparition brutale, ses deux fils l’ont portée en silence, chacun à sa manière. Arthur est resté dans l’ombre. Pierre, lui, a choisi de revenir à La Taillade, cette maison du Lot qui était le refuge et l’ultime décor de la vie de son père, et d’y bâtir une nouvelle trajectoire.

La bastide de La Taillade, un lieu marqué par le drame

L’héritage n’était pas simple à assumer. Dans un entretien au Figaro en 2023, Pierre racontait sans détour les circonstances du drame. “Il a été profondément atteint par la disparition de Mounette, sa mère. Notre père s’est donné la mort le 13 août, à 48 heures de son anniversaire et au lendemain de celui de notre mère. Il a pris soin de nous envoyer faire des courses, nous a laissé une lettre à chacun, a mis son panama, pris un cigare et est parti faire son coup en douce.” Derrière ces mots crus, la mémoire d’un père qui n’avait jamais cessé de chercher la paix dans cette campagne.

La Taillade n’était pas qu’une maison. C’était un repli choisi en 1977, acheté grâce au succès de la chanson Le Sud. Nino Ferrer y avait trouvé ce qu’il cherchait : le silence, les paysages, une forme de simplicité à rebours du tumulte parisien. “Il est au paradis. (…) Il s’est mis à la peinture. Un surréalisme naïf et ardent. Femmes nues dans des paysages bucoliques. Il est tendre et doux. Amical avec ses voisins. Bon père.” Tout était contenu dans ce Sud miniature, sur les hauteurs de Montcuq, où il vivait entouré des siens.

La bastide de Nino Ferrer réinventée par son fils Pierre

Mais la bastide, pour Pierre, ne pouvait rester figée dans le souvenir d’un drame. Il a choisi de la réinventer. Après des années passées dans le cinéma comme décorateur, il s’est lancé dans un projet inattendu : planter des vignes et créer le domaine de La Taillade. “J’ai tout fait de façon empirique, la taille, le palissage, chaque étape était une épreuve”, expliquait-il à Terre de Vins. La tâche était immense, car les vingt-cinq hectares de terrain n’étaient pas adaptés à la viticulture moderne. Pourtant, aidé de sa compagne Erica, qui a poussé ses études jusqu’à un master en gastronomie et vins, Pierre s’est accroché. Et en 2023, le premier millésime voyait le jour.

Ce pari agricole était aussi une façon d’aller de l’avant. “Le passé est là, la mémoire et les souvenirs aussi, j’y suis attaché et je suis rempli de reconnaissance, mais ce lieu n’est pas un musée figé dans le temps, il est vivant, nous y habitons en famille. Il faut aller de l’avant, façonner cet endroit à notre image, lui donner une autre dimension”, disait-il dans La Dépêche. Le vin n’est pour lui qu’une première étape, un socle sur lequel bâtir d’autres projets.

La bastide de Nino Ferrer tournée vers l’avenir

Son ambition est claire : faire de La Taillade un lieu de rencontre. “J’ai le goût de l’accueil, comme Kinou (sa maman, disparue en 2022, NDLR), ajoutait Pierre Ferrari dans La Dépêche. J’aime recevoir, voir les gens heureux, leur rendre la vie plus douce et agréable. Mon objectif est d’associer culture et œnotourisme. J’aimerais attirer ici des particuliers ou des groupes, organiser des dégustations mais aussi développer des activités artistiques et musicales grâce au studio (Nino Ferrer avait installé son studio d’enregistrement au cœur de la bâtisse, NDLR), des ateliers, pourquoi pas des résidences d’artistes ou des hébergements touristiques.” Une manière de prolonger l’esprit créatif que son père avait déjà insufflé entre ces murs.

Il ne s’agit donc pas d’un retour au passé, mais d’une métamorphose. Sur les terres où son père avait peint, chanté et finalement choisi de partir, Pierre a semé de la vigne et des projets. “C’est un endroit qui ressemble à la Louisiane, à l’Italie…” chantait Nino Ferrer dans Le Sud. La phrase résonne encore aujourd’hui à La Taillade, où le fils a trouvé la manière la plus simple et la plus solide d’honorer un héritage : faire vivre ce lieu, et lui offrir un avenir.